A Léonie.
Une petite phrase tissée de fil d’or sur une tapisserie du 16ème siècle me hante depuis trois ans. Quatre mots : A Mon Seul Désir. Phrase énigmatique qui auréole la tête de la Dame à la Licorne. Commence alors pour moi le questionnement. Je sens que cette devise, est une clé à secret, qui ouvre et qui protège*. C’est quoi le désir ? Et quel est le mien ? A quoi sert-il ? Pourquoi fait-il tant souffrir ?
Le désir serait un état délirant car il n'est pas lucide. Il nous fait croire que l’objet de notre désir viendra combler un manque qui rien ni personne ici-bas ne pourra jamais assouvir. Nous cherchons dans des désirs finis un amour infini. Les philosophes nous rappellent que c'est la faute à Zeus, qui craignant le pouvoir des androgynes, les aurait coupés en deux, les condamnant toute leur vie à chercher leur part manquante. Plato, dans son « Banquet » écrivît ‘chacun cherche sa moitié’. Le désir serait alors en plus de délire, soupire.... Mais qui aime quand j’aime ? Qui ou quoi me traverse quand je désire ? Et si le désir absolu serait de ne plus en avoir ? Pourrions-nous être capable de ressentir le feu, la passion, l’extase, l’enivrement, la flambée de l’énergie vitale en nous, sans objet de désirs ? Tous les courants philosophiques affluent dans le même sens. Il faut cependant avoir cheminé, traversé les sept vallées, ôté les sept voiles et fait le tour des sept roues énergétiques du corps... Un périple initiatique, mystique et énigmatique. Comme les six tapisseries de la Dame à la Licorne. Besoin de savoir, de comprendre, d’aller m’immiscer dans cet univers onirique.... J’ai dû attendre trois ans pour que le Musée de Cluny réouvre ses portes. Trois ans, pour me préparer à recevoir les lueurs qu’elles éveillent en moi. En quittant Vézelay, sur l’ile d’Avalon, où se trouve ma communauté spirituelle qui m’a rappelée à son souvenir, j’ai fait une halte à Paris. J’ai couru jusqu’au musée, et parcouru ses salles d’armures et d’épées moyenâgeuses presque avec dédain, pour enfin trouver la salle « rouge », le cœur du Musée, qui donne raison aux armes brandies des salles avoisinantes.
Les six tapisseries se dressent comme autant de femmes sur des iles : une grande solitude féminine, une solitude qui a l’air enchanté.
« Il y a une dame, blonde aux yeux bleus, longiligne, le grand front clair des vierges flamandes, les cheveux en cascade tressés de ruban de soie et de perles, le buste étroit. Il y a une servante, il y a un lion et une licorne, de petits animaux et des gestes qui composent, à travers des buissons de signes, une scène ou vient se tramer, silencieusement, un mystère. Un oranger, un chêne, un pin, un buisson de houx encadrent à chaque fois la tapisserie. Un blason chargé de trois croissant montants d’argent. Et des fleurs : roses, myosotis, jacinthes, pâquerettes, ancolies, campanules, pensées, soucis, œillets, marguerites, violettes forment un jardin en couleurs. » *
Le rose-rouge doré nous emmène dans un voyage initiatique de toile en toile, de sens en sens, de vallée en vallée. Sur la dernière tapisserie se dresse telle une pyramide, le pavillon de la trinité. Il aura fallu la force du lion, l’Eros de la licorne et la réceptivité de la dame pour créer le feu spirituel qui la traverse.
Mais il semble qu’il en manque une. La septième. Serait-ce la tapisserie que nous sommes en train de tisser ? Celle de ceux dont le seul désir qui les traverse serait de mettre leur amour au service de l’autre ? Et si la septième tapisserie serait l’œuvre d’un amour qui ne se vit plus dans la demande et le manque mais dans la plénitude du don ? Que nous puissions la tisser tous ensemble, de plus en plus nombreux pour que 'A mon seul désir' puisse devenir le nôtre.
Je dédie ce texte à mon aïeule Léonie Lietaer, mon arrière-arrière grand-mère, tisseuse de lin qui borde jusqu’à ce jour encore les jeunes femmes « isolées » avec ses draps soyeux.
*Yannick Haenel, A mon seul désir
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